Rencontre secrète entre des Druzes de Syrie et le premier ministre israélien
Le 27 février dernier, une délégation de Druzes de Syrie a rencontré Benyamin Netanyahu dans ses bureaux à Jérusalem. Elle a demandé la protection politique et militaire d’Israël pour sa communauté.
Deux des trois membres de la délégation venaient de la région d’As-Suwayda (ou Suyada), dans le Jebel druze, à une cinquantaine de km de Deraa dans le sud de la Syrie. La troisième personne, appartenant elle aussi à la communauté, vit au Venezuela et servait d’intermédiaire.
Après avoir rencontré un membre druze de la Knesset appartenant au Likoud, Ayub Qorra (les Israéliens écrivent Ayoob Kara), la délégation s’est rendue au bureau du Premier ministre israélien.
Les deux personnes venues de Syrie, pour se rendre en Israël, ont d’abord pris un avion jusqu’en Europe. De là, elles se sont envolées pour l’aéroport David-Ben-Gourion.
Cette allégeance de Druzes syriens à l’Etat hébreu suit une longue période de collaboration de la majorité de cette communauté avec les autorités de Damas. La recherche d’un nouveau protecteur révèle l’inquiétude croissante des Druzes de Syrie dans une région, le sud, où le régime de Damas est en difficulté face aux groupes islamistes et aux rebelles démocrates soutenus par les Etats-Unis.
Un rapprochement avec les Druzes de Syrie revêt une grande importance pour Israël
De leur côté, les Israéliens ont leurs raisons de recevoir avec empressement la démarche druze. Profitant des événements et du désordre prévalant en Syrie, ils ont du reste approché les populations du Jebel druze syrien et leur ont donné de l’argent à titre humanitaire. Ainsi, en l’espace de trois ans, ils ont fait parvenir 20 millions de dollars aux Druzes de la région d’As-Suwayda. La rencontre de Jérusalem, prenant néanmoins une importance stratégique remarquable, faisait suite à cette manœuvre israélienne.
Il y a trois lectures complémentaires de l’intérêt israélien pour les Druzes de Syrie.
1/ La motivation interne
Les Druzes forment en Israël une communauté de 100 000 âmes. On les trouve dans le nord du pays et sur le plateau du Golan, confisqué par les Israéliens à la Syrie lors de la guerre de 1967 (guerre des Six Jours) et annexé depuis 1981.
En outre, il faut savoir les Druzes israéliens pour la plupart très intégrés à la société israélienne. Ils sont les seuls non-juifs du pays à effectuer un service militaire, à la demande de la communauté elle-même. Ils sont nombreux dans les unités combattantes, en particulier dans les troupes de protection des frontières appelées MAGAV, et plusieurs servent comme officiers.
Les opérations de séduction israéliennes à l’égard des Druzes du Liban et de Syrie sont habituelles. Elles sont d’abord destinées à renforcer l’alliance interne des Druzes d’Israël et des autorités israéliennes. Elles donnent le sentiment à cette communauté qu’une relation stratégique forte existe entre elle et les juifs.
2/ L’explication stratégique
Les Israéliens nourrissent un état d’esprit de population assiégée. Tout ce qui se trouve de l’autre côté de leur frontière leur fait peur. Leurs comportements agressifs, les survols de leurs avions de combat au-dessus des pays voisins, sans compter les bombardements, autrefois au Liban aujourd’hui en Syrie, suscitent il est vrai des ressentiments à leur égard. De plus, tout en tenant un discours anti-israélien, les Iraniens et leur allié, le Hezbollah libanais, ajoutent à la paranoïa israélienne en se rapprochant de la frontière israélo-syrienne, à proximité du Golan.
Pour faire face à cet environnement, perçu comme hostile, Israël cherche des alliés dans la zone du territoire syrien proche de ses frontières. Dans ce but, il a déjà ouvert ses « check points » à des combattants rebelles blessés et les a soignés dans ses hôpitaux. Il a même été jusqu’à créer des canaux de communication avec des groupes islamistes. Certains responsables de ces derniers se sont rendus en Turquie, venant du sud de la Syrie, en passant par le territoire israélien. Néanmoins, cela n’a pas de signification stratégique croyons-nous.
Dans ce cadre, les Druzes de la région de As-Suwayda apparaissent eux aussi d’un intérêt certain en raison leur proximité des frontières israéliennes.
3/ Le lien avec les Kurdes d’Irak
Il existe aussi un projet israélien moins connu et passé sous silence par la plupart des experts. Celui-ci suppose le contrôle, direct ou indirect par Israël, du sud de la Syrie et d’une bande de territoire de ce pays jouxtant la Jordanie.
Avant la Révolution syrienne, une pareille idée pouvait paraître farfelue. Aujourd’hui, en raison du désordre syrien et de la division de fait de l’Irak, elle apparaît envisageable.
Nous sommes au courant de ce projet depuis 2004. Il consiste, pour les Israéliens, à développer une alliance stratégique avec les Kurdes d’Irak pour s’en approprier les ressources en hydrocarbures et en eau. Pour ce dossier, nous renvoyons nos lecteurs à l’étude que nous avons réalisée sur le sujet pour le « Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 ».
Si l’alliance avec les Kurdes d’Irak, en particulier avec la famille Barzani, a pris facilement forme pour Israël depuis l’attaque américaine contre Saddam Hussein du printemps 2003, reste le dilemme de l’acheminement de l’eau et du pétrole. Un rapide coup d’œil sur les cartes permet de comprendre qu’il n’existe qu’une seule voie possible, échappant à un interdit des autorités irakiennes, pour installer des pipe-lines : une bande de territoire syrien partant du Golan, longeant la frontière jordanienne puis la frontière irakienne jusqu’à l’accès aux territoires kurdes du nord de l’Irak.
Or, le Jebel druze de la région de As-Suwayda se trouve sur cet itinéraire.
Du Golan à As-Suwayda, les Druzes s’offrent sur un plateau
Au Proche-Orient, plusieurs minorités s’estiment non-arabes et, pour certaines d’entre elles, craignent les radicaux islamistes pour des raisons religieuses. Il y a les Kurdes et les Druzes, mais aussi certains chrétiens ou les yézidis. Pour ses intérêts, Israël est prêt à les utiliser, puis à les trahir, comme il l’a fait autrefois avec les chrétiens du Liban. Les Druzes devraient y penser !
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