CONFÉRENCE À LONDRES SUR
« LES FRÈRES MUSULMANS »
LE 17 OCTOBRE 2019 – Traduction de l’intervention en anglais d’Alain CHEVALÉRIAS
ORGANISÉE PAR
« THE LEVANT NEWS »
Introduction
Merci de votre invitation à partager avec vous mes modestes connaissances sur l’organisation des Frères Musulmans appelés en arabe Al Ikhwan Al Muslimun (ou al Ikhwan al Mouslimoun).
Comme journaliste, mes conclusions sur les Frères Musulmans et les mouvements fondamentalistes qu’ils influencent se nourrissent de mon expérience sur le terrain. Celle-ci va de mes voyages en Afghanistan aux côtés de la Résistance contre l’occupation soviétique dans les années 80 à mes interviews de choc avec Hassan Al-Tourabi, publiées dans un livre. Celle-ci inclut aussi de nombreuses rencontres, en Asie, en Afrique et en Europe avec des responsables des Frères Musulmans et des mouvements fondamentalistes.
Les Frères Musulmans organisation religieuse et militaire
Pendant mon intervention, je veux vous démontrer que les Frères Musulmans, depuis leur création en 1928, ne sont pas seulement une organisation religieuse, pas même seulement une organisation politique, mais aussi une structure militaire.
Leur idéologie…
Avant tout, vous devez comprendre que, parmi d’autres, leur idéologie a deux caractéristiques prédominantes.
Un : leur croyance est basée sur une interprétation de l’islam qui n’est pas l’islam lui-même.
Deux : même s’ils ne l’admettent pas publiquement, la violence et la force sont les principaux moyens dont ils usent pour prendre le pouvoir et le garder.
La manière dont les Frères musulmans présentent l’islam n’est pas l’islam.
Je le prouve. Dans leur profession de foi, écrite par leur créateur Hassan Al-Banna, nous lisons : « La bannière de l’islam doit couvrir tout le genre humain ; un musulman a la mission d’éduquer le monde conformément aux principes de l’islam ».
en Contradiction avec l’esprit du Coran
Dans le verset 48 de la sourate V du Coran, je lis après que le texte a évoqué les chrétiens et les juifs : « … pour chaque groupe humain, Nous (Dieu) avons fixé une loi et une méthode. Si Dieu le voulait, il aurait fait de vous une seule communauté… »
Entre parenthèses, je vous rappelle que, selon la foi musulmane, Dieu a transmis le Coran à Mahomet (Mohammad) par l’intermédiaire de Jibril, un ange pour les musulmans et l’archange Gabriel pour les chrétiens. Dans cette traduction d’un verset du Coran, la contradiction apparaît clairement avec la citation de la profession de foi des Frères musulmans. (En effet, le Coran présente la multiplicité des religions comme le résultat de la volonté de Dieu quand les Frères musulmans veulent tous les hommes soumis à l’islam).
Techniquement parlant, nous pouvons dire que les Frères Musulmans ont fait ce que l’on appelle en arabe un « ijtihad », un « effort d’interprétation » du texte. Néanmoins, à la lecture du texte coranique, j’arrive pour ma part à la conclusion qu’ils ont tort et qu’ils sont sur ce plan en totale contradiction avec l’esprit profond de l’islam.
La force pour prendre et garder le pouvoir
Au nom des principes humains les plus élémentaires, si les Frères Musulmans ont le droit de croire ce qu’ils veulent, ils n’ont cependant pas le droit d’imposer leur croyance et leur mode de vie aux autres par la force. Nous arrivons là à la deuxième caractéristique essentielle de leur idéologie : l’utilisation de la force pour prendre et garder le pouvoir.
Récitant leur déclaration de foi, les Frères Musulmans jurent d’ « accomplir le jihad » au nom de Dieu. Puis-je vous rappeler que le « jihad » n’est pas l’un des cinq piliers de l’islam (les piliers de l’islam sont la profession de foi, la prière, le jeun, la charité (zakat) et le pèlerinage à la Mecque). Pire encore ! Pour les Frères Musulmans, leur « murched al-aam », le guide général, peut déclarer seul le « jihad ». Quand, dans l’Islam, vous avez besoin d’une « fatoua » (un avis juridique) favorable prononcée par le corps des « ouléma » (juriste, docteur de la loi) pour ouvrir le « jihad ».
Ils appellent au jihad…
En d’autres termes, permettant à un individu qui s’est lui-même désigné chef d’une congrégation le droit de lancer le « jihad », je peux dire les Frères Musulmans en totale contradiction avec la « charia » elle-même.
Plus encore : les musulmans ne peuvent entreprendre le « jihad » que si leur religion est en danger, en cas d’agression perpétrée à cette fin par des non-musulmans. Si ce n’est pas le cas, et si par exemple les musulmans partent en guerre pour conquérir des terres, on parle alors d’une guerre classique, ce que l’on appelle « harb » en arabe.
Sur ce plan, l’Histoire récente est précieuse. En Algérie, entre les deux Guerres mondiales, les « ouléma » locaux ont refusé de déclarer le « jihad » contre l’autorité française. Parce que le gouvernement français et le peuple français n’avaient pas attaqué ou offensé l’islam en tant que religion.
Un autre exemple. Pendant l’occupation soviétique en Afghanistan, dans les années 80, la plupart des « ouléma » du pays, mais aussi d’Asie, ont soutenu le « jihad » contre l’Armée rouge. Parce que les communistes étaient entrés dans le pays pour éradiquer l’islam.
L’utilisation de la religion pour justifier la violence
Tout cela pour dire combien les Frères musulmans sont loin de l’islam quand ils osent suggérer d’utiliser cette religion comme justification de la violence.
Et ce n’est pas seulement une théorie. Les Frères musulmans sont aussi physiquement associés à la violence. Hassan Al-Banna a créé un mouvement de scouts, des jeunes hommes entraînés pour la guerre. En 1936, il les a envoyés combattre en Palestine au nom des Frères musulmans, pendant l’insurrection arabe. A nouveau, en 1948, il leur a ordonné de rejoindre la première guerre arabe contre Israël.
Bien sûr, je ne parle pas ici des raisons de la guerre contre Israël. Je veux seulement mettre en évidence l’implication des Frères musulmans dans des activités militaires depuis le début de leur fondation.
Mais il y avait à cette époque, inclus dans les structures mêmes des Frères musulmans, quelque chose de plus inquiétant encore : ils ont créé ce qu’ils appelaient l’ « Organisation secrète ». C’était un groupe armé chargé des activités clandestines des Frères, formé et entraîné pour l’action militaire. Saleh Achmaoui en était le chef.
En 1940, Achamoui a ouvert une liaison avec des officiers de l’armée égyptienne, ceux-là même qui fonderont en 1950 « le mouvement des officiers libres » sous l’autorité de Gamal Abdel Nasser. Anouar Al-Sadate, un officier déjà associé à Nasser, a livré des armes à Achmaoui et à son groupe.
Peu après commencèrent les activités terroristes des Frères musulmans.
En mars 1948, l’autorité égyptienne ordonnait aux Frères musulmans de rendre leurs armes et d’intégrer leurs groupes armés aux forces régulières du pays. Beaucoup des Frères ont refusé de s’exécuter et se sont rebellés contre le pouvoir.
- Puis, au printemps 1948, un jeune membre des Frères musulmans a assassiné un juge.
- En novembre de la même année, deux officiers britanniques ont été lynchés pendant une manifestation de rue des Frères musulmans.
- Trois semaines plus tard, un étudiant sorti des rangs des Frères musulmans tuait le Premier ministre, Mahmoud An-Nukrashi Pasha.
Négation de la responsabilité des actes de violence
A chaque fois, après une agression terroriste, Hassan Al-Banna a affirmé qu’il n’était pas impliqué. On peut le soupçonner de pratiquer un double jeu. On peut aussi imaginer qu’il avait perdu le contrôle et que quelques-uns de ses disciples agissaient de leur propre chef.
Il est intéressant de constater que, souvent dans l’histoire des Frères musulmans, apparaît la même question : sont-ils associés aux crimes commis par des éléments issus de leur organisation ?
En d’autres termes, les Frères musulmans sont-ils cyniques ou l’idéologie qu’ils enseignent formate-t-elle l’esprit des recrues au point qu’un certain nombre d’entre elles deviennent des terroristes ?
Je n’ai pas la réponse. Cependant, quelle qu’elle soit, les Frères musulmans apparaissent dangereux pour les autres musulmans et pour le reste de l’humanité.
Une idéologie qui inspire la plupart des fondamentalistes islamistes
Ils ne sont cependant pas seulement dangereux en raison des actions de leur organisation. Après un siècle d’existence, ils dominent l’idéologie de la plupart des idéologies islamiques fondamentalistes.
On reconnaît leur empreinte dans le Refah Partisi, parti turc qui a servi de matrice à l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, l’actuel dirigeant de la Turquie. Dans le Hezb-ut-Tahrir (Parti de la Libération) créé en Jordanie. Dans le Jamaat-islami fondé au Pakistan par Sayyid Abul Ala Maududi. Et même dans le Hezb-e-islami afghan de Gulboddin Hekmatyar.
Surenchérissant en termes de fanatisme, vous retrouvez les idées et principes des Frères musulmans dans les préceptes de groupes comme Al-Qaïda et Daech.
Pire encore. Beaucoup de musulmans et de non-musulmans sont convaincus que l’idéologie des Frères musulmans s’identifie au véritable islam. Aussi, beaucoup de musulmans pensent-ils qu’ils ne sont pas de bons croyants puisqu’ils ne suivent pas les principes d’Hassan Al-Banna. Par opposition, et par conséquent, beaucoup de non-musulmans ont une vision horrifiante de l’islam. Nous pouvons dire que les Frères musulmans, en connaissance de cause ou non, préparent un conflit à l’échelle mondiale qui fera ressembler la guerre contre Daech à une partie de chasse.
Arrivé à ce point, tout le monde comprendra combien il est urgent d’annihiler l’idéologie des Frères musulmans.
Les esprits simples vous diront que nous n’avons qu’à déclarer criminelle cette idéologie et emprisonner les gens qui la soutiennent.
La victimisation comme arme de propagande
Cela a été fait en Égypte par Nasser, après que les Frères musulmans se sont révoltés contre lui parce qu’il ne partageait pas le pouvoir avec eux. Aux yeux du peuple, ils sont alors passés pour des victimes et, avec l’un deux, Sayyid Qotb (Sayyed Qotb), une nouvelle génération de Frères est devenue encore plus fanatique à la suite des persécutions subies en prison. Or, l’on sait, la victimisation est un excellent argument de propagande.
D’autres vous diront, « Vous avez affirmé que les Frères musulmans sont compromis dans le terrorisme, c’est donc assez pour les traduire en justice ». Y compris s’agissant d’Hassan Al-Banna, nous avons vu combien il est difficile de prouver sa relation avec la violence et le terrorisme.
Il faut aussi comprendre les Frères musulmans travaillant sur deux plans :
d’un côté la propagande et le prosélytisme religieux, ce qu’ils appellent la « dawa » (ou daawa). De l’autre, la violence. Or, même s’il y a continuité entre ces deux champs, nous ne pouvons pas avoir le même comportement quand ils agissent comme propagandistes et quand ils appartiennent à un groupe terroriste.
Comment contrer leur propagande...
Si contre la « dawa », la propagande religieuse, nous répondons utilisant la force et l’interdiction, dans les pays occidentaux, nous serons en contradiction avec les principes fondamentaux de notre société à propos de la liberté de parole. Les Frères retourneront cela contre nous, disant que nous sommes hypocrites et que nous dénigrons l’islam. Ce sera pour eux un argument de recrutement.
C’est pourquoi, sur le plan de la « dawa » et de la propagande, nous devons, vous devez, leur répondre par la discussion, les arguments et en ayant une bonne connaissance de l’islam. Les musulmans éduqués ont plus spécialement le devoir de renforcer leur compréhension du Coran afin d’être capables de faire face aux Frères musulmans. Je suggérerais aux musulmans d’appeler cela « le jihad des mots pour la paix et la raison ».
C’est un travail difficile mais prioritaire compte tenu de la pression de l’idéologie des Frères musulmans à travers le monde.
… et leur violence?
Il semble plus facile d’affronter les Frères musulmans sur le terrain de la violence terroriste. En fait, ce n’est pas le cas.
- Parce que nous souffrons d’une faiblesse sur ce terrain. Le mot terroriste est parfois utilisé avec des intentions de propagande par nos hommes politiques. Aussi perdons-nous de la crédibilité.
- Il est souvent difficile d’apprécier la différence entre terrorisme et violence légitime contre un pouvoir tyrannique.
- Les coupables de certains actes terroristes peuvent être hors d’atteinte pour des raisons géographiques ou politiques.
- Les Frères musulmans ne sont pas stupides et ont acquis de l’expérience en un siècle d’existence. Ils savent très bien comment se dissimuler, compartimenter leurs organisations, diviser leurs activités, utiliser des mots à double sens abusant ainsi les Occidentaux qui ne sont pas bien entraînés pour leur faire face.
Je vais ajouter un point : pour nous protéger, nous et le reste du monde, de la « dawa » et de la propagande des Frères musulmans et des autres groupes fondamentalistes, nous devons nous efforcer d’être plus justes.
A chaque fois que nous soutenons l’injustice au nom de l’intérêt ou par lâcheté, nous donnons aux Frères musulmans des arguments pour dénigrer notre système et renforcer leur idéologie. Bien sûr, nous ne serons jamais parfaits, mais je fais allusion à des comportements habituels et parfois très ancrés dans nos usages.
Merci d’avoir eu la patience de m’écouter. J’espère que j’ai porté à votre attention quelques points d’importance pour vous aider à construire votre réflexion.